Est-il possible d’acheter un panier de produits alimentaires dont le contenu est indéterminé ?

Question : Est-il permis d’acheter des paniers contenant des produits alimentaires par le biais d’applications qui permettent à des commerçants de proposer à la vente leurs invendus à des prix très avantageux en fin de journée. Cette démarche contribue grandement à lutter contre le gaspillage alimentaire.

Le problème, en pratique, c’est que, au moment où un panier est acheté via l’application, son contenu est indéterminé…

Réponse : Il convient de rappeler avant tout que le « bay ‘ al gharar » a été explicitement interdit par le Prophète Mouhammad (sallallâhou ‘alayhi wa sallam).

Les savants musulmans s’accordent pour considérer qu’est notamment considéré comme tel tout contrat à titre onéreux qui est affecté par un flou excessif (« gharar fâhish/kathîr ») au niveau des contreparties échangées. Pour ce qui est du flou négligeable (« gharar yassîr »), il est unanimement toléré dans le contrat en droit musulman. [1]

Le point qu’il est essentiel de clarifier c’est la limite à partir de laquelle un flou n’est plus considéré comme étant « négligeable » (« gharar yassîr ») et qu’il devient « excessif » (« ghrar fâhish/kathîr ») ?

Les savants contemporains ont beaucoup divergé à ce sujet :[2]

  • certains d’entre eux considèrent que dès lors où le flou constitue un aspect dominant du contrat et un critère qui permet de le caractériser, il est considéré comme étant « fâhish/kathîr ». Au cas contraire, il est « yassîr » et donc toléré.
  • d’autres considèrent que si l’opération contractuelle est, malgré le flou qui l’affecte, susceptible de profiter aux deux parties, il s’agit de « gharar yassîr ». Et s’il est de nature à n’avantager qu’une seule partie au détriment de l’autre, il s’agit de « gharar fâhish/kathîr ».
  • d’autres encore sont d’avis que le flou qui est inévitable dans le contrat est considéré comme « yassîr » tandis que celui que l’on peut éviter constitue du « gharar fâhish/kathîr ».
  • une autre position exprimée sur la question est la suivante : relève du « gharar yassîr » (flou négligeable) le flou qui, dans un contexte donné, n’est pas de nature à provoquer de litige entre les parties contractantes.[3] Pour ce qui est du flou qui est de nature à faire naître un litige entre les parties, il s’agit d’un « gharar fâhish » (flou important) et sa présence rend donc la vente illicite.

Cette divergence d’opinion a une incidence justement sur la question que vous soulevez :

  • selon des savants hanafites contemporains, dans le cas que vous décrivez, si le panier est composé de produits « halâl » (licites à la consommation pour le musulman), le fait que son contenu exact soit indéterminé au moment de l’échange de consentement n’est pas de nature à entraîner un litige et relève donc du « gharar yassîr », c’est-à-dire que cela n’a pas d’incidence sur la licéité et la validité du contrat.[4]
  • selon d’autres savants, dès lors où, dans le cas que vous décrivez, c’est la nature même des produits vendus qui est indéterminée, le « gharar » est forcément excessif, ce qui a pour effet d’invalider le contrat.[5]

Face à cette divergence, la position qui présente le plus de précaution consiste à suivre le second avis et à éviter donc d’acheter un panier dont le contenu est indéterminé, et ce, d’autant plus qu’il est difficile d’affirmer de façon catégorique qu’il n’y aucun risque de litige entre les parties quand l’acheteur constatera de manière effective les produits qui lui seront livrés.

Il est à noter que, dans l’éventualité où l’opération conduite par le biais de l’application s’analyse comme une réservation d’un panier plutôt que son achat et que ce n’est qu’au moment de sa livraison qu’a lieu juridiquement l’échange de consentements en vue de son acquisition, le problème de « gharar » ne se pose plus et la vente est valablement conclu en droit musulman (dès lors où les produits composant le panier sont licites, évidemment) : en effet, son contenu est alors connu des parties. C’est le cas par exemple quand, selon les conditions générales du service, le client dispose du droit de refuser l’achat au moment de la collecte du produit.

Wa Allâhou A’lam !


[1] « Ahkâm al Qour’aane » de al Djassâss v. 2, p. 189, « al Massâlik fî char’h il Mouwattâ » v. 6, p. 83, « al Madjmoû’ » v. 9, p. 258, « al Mawsoûat al Fiqhiyah » v. 31, p. 155-156, « al Fiqh al Islâmi wa adillatouh » v. 5, p. 414-415, « Takmilah Fath il Moulhim » de Mft Taqi al Outhmâni v. 1, p. 311-312, « Nawâzil Fiqhiyah Mou’ssarah » de Mft Khâlid Sayfoullah v. 1, p. 286

[2] Pour un exposé complet sur la question en arabe, voir cet article

[3] C’est là l’avis exprimé notamment par Mft Taqi Outhmâni [« Fiqh al Bouyoû’ » v. 1, p. 369 et p. 388], Mft Khâlid Sayfoullâh [« Nawâzil Fiqhiyah Mou’ssarah », v. 1, p. 287-288], Mft Ridhâ oul Haqq [« Fatâwa Dâr Ouloûm Zakariyah » v. 5, p. 176-179]

[4] Voir la Fatwa présente ici ; l’avis Mft Ridhâ oul Haqq semble aussi aller dans le même sens : voir Fatâwa Dâr Ouloûm Zakariyah » v. 5, p. 176-179

 [5] Le principe selon lequel l’indétermination de l’objet du contrat relève, en soi, du « gharar fâhish/kathîr » est énoncé par l’AAOIFI. Voir l’article 5/2/1/1 de la norme N°31 de « al Ma’âyîr ach Char’iyah ». Voir aussi les écrits de Mft Taqi Outhmâni dans « Fiqh al Bouyoû’ » v. 1, p. 369