Comment distinguer les dispositions qu’il est licite d’intégrer dans un contrat de celles qui ne le sont pas ?

Question : En tant que commerçant, puis-je intégrer dans mes conditions générales de vente une clause de réserve de propriété ?

Quid de l’imposition de pénalités de retard pour les ventes à crédit ?

Plus généralement, pouvez-vous me dire quels types de dispositions je dois éviter ?

Réponse : La spécification de conditions dans une convention est réglementée en droit musulman. Voici une synthèse des règles principales à connaître à ce sujet (celle-ci contient la réponse à vos deux questions précises) :

1/ Il est permis d’intégrer dans un contrat une disposition qui sied à la nature du contrat en ce sens qu’il ne fait que confirmer les effets qu’il produit ou qu’il convient aux obligations qu’il fait naître  

Les savants des quatre écoles d’interprétation juridique musulmanes les plus connues s’accordent sur ce point.[1]  

Exemples : 

  • poser comme condition dans un contrat de vente que, après l’échange de consentements, le vendeur doit mettre la chose à disposition de l’acheteur et ce dernier doit lui payer le prix
  • poser comme condition dans un contrat de vente que le paiement se fera au comptant ou qu’il se fera totalement ou partiellement de manière différée [dès lors où une échéance précise est fixée]
  • poser comme condition dans une vente au comptant que le vendeur gardera la marchandise tant que le prix de celle-ci ne lui sera pas intégralement versé par l’acheteur
  • poser comme condition dans une vente à crédit que l’acheteur donnera quelque chose de précis en gage ou qu’il présentera au vendeur un garant

2/ Il est évidemment permis d’intégrer dans un contrat une disposition qui a été autorisée par les sources du droit musulman.

Il y a, là aussi, unanimité des savants musulmans. [2] 

Exemples :

  • poser comme condition dans un contrat de vente que l’une des parties se réserve une faculté de maintien ou de résiliation de la convention pendant une durée déterminée (« khiyâr ach chart »)
  • poser comme condition dans un contrat de vente que, en cas de défaut présent dans le produit, l’acheteur disposera de la faculté de le restituer au vendeur

3/ Il est permis, selon la majorité des savants, de spécifier dans un contrat une condition qui n’est pas explicitement interdite dans les sources musulmanes, qui procure un avantage à l’une des parties mais dont l’intégration dans la convention fait partie des usages en cours dans un contexte donné.

En effet, en raison du « ‘ourf » (la coutume, l’usage), ce type de conditions n’est pas de nature à provoquer des litiges entre les cocontractants et peut donc être considéré comme relevant de ce qui sied à la nature du contrat.[3]

Exemples :

  • poser comme condition dans un contrat de vente que le vendeur assurera gratuitement la réparation du bien vendu pendant une période déterminée
  • poser comme condition dans un contrat de vente immobilière que le vendeur fournisse à l’acheteur un certain nombre de diagnostics concernant le bien
  • poser comme condition dans un contrat de vente immobilière que les frais de notaire sont à la charge exclusive de l’une des parties

4/ La question de la spécification d’une condition qui n’est pas explicitement interdite dans les sources musulmanes, qui procure un avantage à l’une des parties mais dont l’intégration ne fait pas partie des usages en cours dans un contexte donné fait l’objet de débats entre les savants musulmans : cela est autorisé par les hambalites et les mâlékites (sous certaines conditions) mais pas par les hanafites et les châféïtes. [4]

Exemple :

  • poser comme condition dans un contrat de vente immobilière que le vendeur pourra continuer à y habiter pendant une durée déterminée (qui ne doit pas excéder une année, dans ce cas précis, selon les mâlékites)

L’opinion des hambalites et des mâlékites à ce sujet repose notamment sur le Hadith qui relate que, durant un voyage, le Prophète Mouhammad (paix et bénédiction de Dieu sur lui) proposa à Djâbir (que Dieu l’agréé) de lui acheter sa monture ; celui-ci accepta sous condition qu’il puisse continuer à l’utiliser jusqu’à son retour chez lui.

(Sens d’un Hadith présent dans le « Sahîh » de Boukhâri et de Mouslim)

Et l’opinion des hanafites et des châféites repose sur l’énoncé suivant rapporté par l’Imâm Abou Hanîfah (que Dieu lui fasse miséricorde) avec sa propre chaîne de transmission :

نَهَى عَنْ بَيْعٍ وَشَرْطٍ

« Il (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) a interdit (le fait de combiner) une vente et une condition. »

(« Al Mou’djam al Awsat » de At Tabrâniy) [5]   

5/ Il n’est pas permis de spécifier dans un contrat une condition qui ne sied pas à la nature du contrat en ce sens qu’il s’oppose aux effets qu’il produit ou qu’il contrevient aux obligations qu’il fait naître.

Il y a unanimité des quatre écoles d’interprétation juridique les plus connues sur ce point.

En effet, une telle disposition a pour effet de vider le contrat de sa substance et de le priver de son régime juridique qui a été établi à la lumière de l’enseignement révélé. Et il est relaté que le Messager d’Allah (paix et bénédiction de Dieu sur lui) fit, à une occasion, un sermon au cours duquel il (paix et bénédiction de Dieu sur lui) dit notamment :

مَا بَالُ رِجَالٍ يَشْتَرِطُونَ شُرُوطاً لَيْسَتْ فِى كِتَابِ اللَّهِ  قَالَ كُلُّ شَرْطٍ لَيْسَ فِى كِتَابِ اللَّهِ فَهُوَ بَاطِلٌ

« Qu’en est-il de ces hommes qui stipulent des conditions qui ne sont pas dans le Livre d’Allah ‘azza wa djalla ? »

Il (sallallâhou ‘alayhi wa sallam) ajouta ensuite :

« Toute condition n’étant pas dans le Livre de Dieu [6]  est nulle (…) »

(Mousnad Ahmad)

Exemples :

  • poser comme condition dans un contrat de vente que l’acheteur n’a pas le droit de le revendre ou l’offrir à autrui
  • intégrer dans un contrat de vente une clause de réserve de propriété [7]
  • poser comme condition dans un contrat de location que les travaux de gros entretien du bien (c’est-à-dire les opérations qui visent à le maintenir en état de servir à l’usage pour lequel il a été loué) sont à la charge du locataire [8]
  • intégrer dans un contrat d’investissement une disposition garantissant le remboursement du capital ou le versement d’un profit

6/ Il n’est évidemment pas permis de spécifier dans un contrat une condition qui a pour objet une chose qui a été interdite en droit musulman.

Exemple :

  • intégrer une clause imposant le paiement de pénalités de retard dans un contrat dont l’obligation est de nature monétaire : tout surplus réclamé en raison du retard de paiement d’une dette d’argent constitue en effet du « ribâ ».[9]

Wa Allâhou A‘lam !


[1] « Al Fiqh al Islâmiy wa Adillatouh » v. 4, p. 203 et suivantes / « Al Mawsoû’at al Fiqhiyah » v. 26, p. 11 et suivantes

[2] « Al Mawsoû’at al Fiqhiyah » v. 26, p. 11 et suivantes

[3] C’est là l’avis qui fait autorité actuellement chez les hanafites : ce point ne faisait cependant pas l’unanimité entre les anciens savants de cette école. « Al Fiqh al Islâmiy wa Adillatouh » v. 4, p. 204, « Taqrîr Tirmidhî » v. 1, p. 108 et 109, « Radd al Mouhtâr » v. 7, p. 283 et suivantes, « Al Mawsoû’at al Fiqhiyah » v. 26, p. 12

Selon Sheikh Taqi Outhmâni, ce type de condition doit en principe être admis également par les hambalites et les mâlékites (mais pas par les châféïtes). Voir « Taqrîr Tirmidhî » v. 1, p. 111

[4] Sheikh Taqi est d’avis qu’une autorité musulmane peut permettre ce type de condition pour peu que celle-ci n’entraîne pas du « ribâ » dans la transaction. Voir « Takmilah Fath il Moulhim » v. 1, p. 588-589

[5] Il est à noter que la validité de ce rapport a cependant été remise en question par plusieurs experts ; mais certains hanafites reconnaissent à ce rapport une certaine fiabilité

[6] C’est-à-dire allant à l’encontre de ce qui a été établi par le biais de l’enseignement révélé

[7] « Al Ma’âyîr ach Char’iyah » article 5/4 de la norme N°8

[8] Dans le cas d’un bien immobilier, il est possible de prendre l’article 606 du Code Civil comme référence pour la répartition des travaux d’entretien et de réparation entre le bailleur et le locataire. Pour les autres types de biens, les travaux qui peuvent ou non être mises à la charge du locataire doivent être définis au cas par cas par des jurisconsultes musulmans compétents. « Al Ma’âyîr ach Char’iyah » article 5/1/7 de la norme N°9

[9] « Al Ma’âyîr ach Char’iyah » article 2/1/2 de la norme N°3